Beaucoup de nos frères juifs s'interrogent aujourd'hui sur la personne de Jésus et se
penchent sur les Évangiles :
Jésus rendu aux siens, En vérité je vous le dis, Une lecture juive des Évangiles, Shalom
Jésus, d'autres ouvrages encore en sont le témoignage.
De leur côté, de nombreux chrétiens se tournent vers la Tradition juive et apprennent
l'hébreu pour mieux lire la Bible dont la traduction n'échappe pas - et moins que d'autres !
- à la "trahison"...
Un indéniable désir de rencontre s'exprime, quï veut non seulement mettre fin à des siècles
de rejets, de méconnaissance et d'anathèmes, mais aussi nous réenraciner et nous épanouir
dans nos Traditions respectives dont nous avons l'intuition que Ieur séparation les altère ;
intuition qui devient certitude lorsque nous faisons l'expérience de les unir.
En réponse à la lecture juive des Évangiles, je propose dans tous mes ouvrages une lecture
chrérienne de la Torah, accompagnée d'ailleurs en cela par beaucoup d'amoureux de la langue
hébraïque.
Nous ne pouvons aller vers les Évangiles pour les uns, vers la Torah pour les autres, qu'en
revêtant "des oreilles pour entendre".
Il s'agit bien sûr des oreilles du coeur qui s'ouvrent à l'insoupçonnable, au tout nouveau,
dans "les coupures du prépuce" de ce centre de l'Homme, si refermé, voire bloqué sur les
idées du mental, qui font loi.
Il s'agit de retrouver le chemin du Pardes, celui qu'exige la lecture de tout texte sacré,
depuis le niveau du Pshat, de ce qui est "simple", jusqu'à celui du Sod, du "secret".
Car, ne nous faisons pas d'illusion, ce ne sera qu'au coeur du Sod - du "secret" - que nous
nous rencontrerons en vérité.
Faire le chemin du Pardes implique - le niveau du Darash nous le dit en clair - qu'il soit
parcouru au-dedans de nous, dans les mutations qu'exigent de nous les messages que délivre
le texte à chaque niveau de lecture, chacun étant lui-même le fruit d'un champ de conscience
ouvert en nous par une précédente mutation de l'être.
Aucun ordinateur ne le fera à notre place.
Les qualités intellectuelles et les plus hauts degrés de culture acquis n'ont pas accès à
cette qualité d'intelligence neuve née au-dedans de nous, avec la croissance de l'Arbre de
la Connaissance dont nous sommes appelés à devenir le fruit.
Aller vers ces textes en restant au niveau du Pshat, c'est exercer sur eux une réduction
telle qu'elle les anéantit ; et vouloir justifier cette lecture à coups d'arguments
historiques, si savants soient-ils, place la critique historique au-dessus du sacré qui
relève d'une autre logique ; le danger est si grand de toujours ériger nos idées en idoles
!
Mourir à nous-mêmes dans ces chères idées acquises, nos vérités tenues pour immuables et nos
sagesses, c'est de cela qu'il s'agit pour naître à de nouvelles lumières, jour après jour,
inlassablement, et chez nous tous, juifs et chrétiens ; il nous faut alors entrer en
résonance en nous-mêmes avec l'Image divine fondatrice de notre être, notre véritable
identité qui est "Fils de l'Homme", stérile en nous tant que nous sommes dans l'oubli de
lui, mais qui devient vivant si nous nous souvenons de lui et de son exigence de
croissance.
Ce n'est certes pas en nous installant sur nos positions respectives, ce qui obéirait à une
logique de mort, que nous pourrons nous rencontrer, mais dans l'obéissance au "Va vers toi"
ordonné par Dieu à Abraham comme à la Bien-aimée du Cantique des Cantiques et à nous-mêmes,
dans l'amoureuse tension de vie, qui peut nous conduire jusqu'au bout de nous-mêmes,
c'est-à-dire jusqu'au Sod.
A cette étape du chemin, un même flux de vie, bien audelà de toute volonté humaine, voire
des meilleures bonnes volontés oecuméniques, réunira tout d'abord entre eux les chrétiens
séparés, comme il réunira les différents courants du judaïsme qui s'opposent les uns aux
autres aujourd'hui.
Je disais il y a déjà quinze ans en écrïvant Alliance de Feu que le texte hébreu du Livre
était une réserve d'information incalculable, un "ïnaccompli" attendant dans les ténèbres de
notre propre "inaccompli" que nous émergions avec luï dans la lumière.
Dans cette double et unique démarche, ce texte se révèle être l'ïcône du Verbe de Dïeu
inscrite dans la Bible comme en nous, tracée de la même Plume.
Lorsque je me fais coupe devant cette icône du Verbe, elle vient vers moi et ne vient que
parce que je la porte en moi ; elle m'instruit aiors de ces textes en même temps que de
moi-même.
Que le lecteur n'en déduise pas que je fais fi de ce que nos Pères dans la foi ont dit de
nos Lïvres sacrés. Eux-mêmes ont contemplé l'icône et vécu ce dialogue intime et personnel.
Il me serait facile d'orner mon texte de citations de leurs oeuvres - mon ordinateur
pourrait le faire -, mais elles seraient ornements et non le corps authentique de mon
travail.
De leurs écrits, les Pères ont nourri ma foi ; de son enseignement oral, l'évêque Jean
(Kovalevsky) qui fut mon maître a illuminé ma foi.
Tous m'ont ouvert le coeur à la nécessité de transformations intérieures et m'en ont donné
l'élan.
Mais aucun d'eux n'est l'icône qui m'a saisie.
La connaissance est éros ; elle jaillit de la source de l'être ; elle est expérience.
Dans cette expérience mon cheminement a pris la voie du texte hébreu.
Jésus est le chemin, et le Chemin irradie tant de voies !
La langue sacrée qui a porté la montée messianique du peuple hébreu et que le Messie
lui-même a parlée et chantée est l'icône que je contemple et qui ne comporte entre elle et
moi que l'écran de mon impureté, parfois aussi celui d'une sagesse qui impose le silence.
Les mots que la langue hébraïque propose à notre regard, si impur soit-il encore et s'il est
saisi dans cet élan de purification, ces mots enlèvent peu à peu leurs voiles et dessillent
nos yeux.
A cette lumière, ils ne sont pas, comme dans nos langues vulgaires, les outils dont on se
sert pour exprimer des idées, ils sont en eux-mêmes informateurs et générateurs d'idées ;
chacun d'eux est un aspect du Verbe de Dieu nous révélant les lois immuables, fondatrices du
Créé.
Images de l'Incréé, ils nous reconduisent à l'Incréé...
La Brit Milah, "l'Alliance de la circoncision", est aussi "l'Alliance du mot".
Le mot est une circoncision du Verbe et nous oblige à nos propres circoncisions du coeur
pour atteindre au Verbe !
Écrire Résonances bibligues m'oblige à vivre cette Alliance.
Alliance et résonance fondent le dialogue.
Le dialogue est alors non seulement celui que tentent d'établir entre eux juifs et
chrétiens, mais celui qui s'offre à l'écoute de nos oreilles circoncises et que ne cessent
de chanter à voix basse premier et second Testaments.
Depuis les premiers siècles de l'Église, l'ordre des célébrations liturgiques chrétiennes
met en résonance ces deux Testaments. En cet échange amoureux, une immense richesse nourrit
nos coeurs, devrait nourrir nos coeurs
!
Mais force nous est de constater aujourd'hui la désaffection massive du monde chrétien pour
ce festin.
L'un va vers la fascination de l'individualisme qui se veut fondement d'une éthique nouvelle
et libérente, mais qui, meurtrier de la "personne", est non-sens fondamentalement aliénant
et source de désespoir ; l'autre, véritablement en quête de spiritualité, mais dans une
exigence d'expérience numineuse immédiate, va vers les techniques qui amènent l'être à
rompre avec la banalisation de sa vie pour entrer dans un état non ordinaire de conscience,
subtilement plus nourricier de son ego que de sa personne, la plupart du temps, sans parler
du risque de dérapage pathologique parfois !
De cet état de fait une déduction s'impose :
le besoin absolu que manifeste l'Homme moderne d'aller vers "l'unique" qu'il est, chacun
dans sa personne dont nul ne lui a appris vraiment à distinguer celle-ci de son premier
moi-ego individualiste et paradoxalement grégaire, illusoirement unique.
L'humanité est dans une étape de croissance semblable à celle d'un adolescent qui, après
avoir rejeté les béquilles parentales, cherche sa propre colonne vertébrale.
Le monde parental dans son ensemble, n'ayant pas trouvé la sienne et n'ayant jusqu'ici même
pas éprouvé le besoin de la chercher, n'a pu induire le chemin de cette rencontre
essentielle chez son enfant ; celui-ci erre donc douloureusement dans un labyrinthe aux
inextricables voies.
Ses énergies ne pouvant plus s'investir selon les schémas passés se traduisent en violences
meurtrières ou bien répondent comme des alouettes aux miroirs qui leur sont offerts pour
cultiver le narcissisme du premier "moi".
Les Églises, dont on peut se demander parfois si les hiérarques eux-mêmes vivent ce qu'ils
enseignent, sont profondément responsables de cette errance.
Les célébrations dévitalisées en Occident, vécues trop souvent de leur seule beauté
extérieure en Orient, ne s'accordent au mieux dans les âmes qu'à la résonance d'un
transcendant égaré au niveau communautèrement individualiste.
Individualisme en chacun ou en chaque communauté, dont l'ensemble se vit en rapports de
forces, il caractérise une dimension de l'humanité qui n'a pas encore atteint à la dimension
d'Homme.
Cette dernière est cependant celle-là seule à laquelle la Bible nous convoque.
Si je prends la plume pour parler de ces choses, c'est dans l'espoir de révéler davantage le
pouvoir osmotique de nos textes sacrés dont le premier et le second Testament, unis sans
confusion, sont détenteurs.
Leur sel dilué dans l'eau de notre inconscience doit devenir aujourd'hui, de toute urgence,
agent de transmutation de l'individu vers la personne.
Il est symbole de sagesse divine, structurante, inséparable de cette dynamique de vie restée
palpitante mais encore endormie sur l'oreiller d'un éros interdit.
Menacés de mort, osons éveiller l'éros !
Car c'est en amoureux épris de ces textes que nous irons vers eux ; tel le juif pieux
accueillant le Shabbat comme une fiancée, allons vers la Bible qui n'ôtera ses voiles que
sous la pression du désir et dans le secret du coeur.
Car "(seul) l'amour est force capable de mutation".
Que l'Esprit-Saint nous donne cette force.
L'Esprit-Saint nous conduit alors â entendre le passage de l'individu à la personne comme
étant celui d'un premier "moi" à l'identité réelle de l'être.
Le livre de la Genèse décrit ce passage ; il est présidé par le Shabbat en lequel, par son
"retrait", Dieu-Elohim laisse place à son Image, celle du Verbe-YHWH qui fonde l'Homme dans
sa Personne unique.
Dans cette béance, le Shabbat détermine une dynamique interne irrépressible qui invite
l'Homme à naître à lui-même depuis la situation de sixième jour où l'Adam (l'Homme) est créé
mais encore totalement confondu avec sa Adamah (espace matriciel intérieur, riche en
énergies potentielles polarisées autour de l'Image divine) à la situation de septième jour
où, différencié de sa Adamah, il entre en résonance avec sa personne ; il peut alors
intégrer les énergies dont le potentiel réalisé deviendra information et assumer la
dynamique de l'image à la ressemblance, la croissance du Germe divin fondateur de sa
personne.
Dans ses naissances successives, l'Homme devient "âme vivante".
La situation de sixième jour, celle du premier "moi", est confusionnelle ; l'Homme n'y est
"âme vivante" qu'à travers l'âme-groupe de ses "animaux" intérieurs avec lesquels il est
identifié.
La situation de septième jour, celle de sa réelle identité, liée au processus de
différenciation d'avec sa Adamah, que Dieu opère en lui, le fait devenir "âme vivante"
personnelle.
L'âme psychique devient peu à peu âme spirituelle.
Dans cette même dialectique, le premier Testament identifie "les peuples", les Goïm, et en
particulier les descendants de Lot (le voilé) ainsi que tous les "ennemis" d'Israël, à
l'Homme du sixième jour, totalement inconscient (âme-groupe animale), et Israël lui-même,
peuple de Dieu, à l'Homme du septième jour, devenu "âme vivante".
Dans la dynamique de cette métaphore, "tous les peuples" sont le potentiel de l'humanité ;
ils sont appelés à venir enrichir Israël ; les Goïm face à Israël forment respectivement le
pôle ténèbre et le pôle lumière de l'humanité, dont ce dernier, intégrant les ténèbres,
deviendra totale lumière.
C'est en ce sens que le prophète Zacharie annonce l'accomplissement de l'humanité ; il dit :
"Ainsi parle le Seigneur - YHWH - des Armées.
En ces jours-là, les hommes de toutes les langues des nations tiendront fermement, oui
fermement, le pan du manteau d'un homme juif en disant :
Nous irons avec vous car nous avons entendu que Dieu est avec vous".
De même le psalmiste parlant de Sion, la cité de Dieu :
"On dira de Sion, tout homme y est né, c'est le Très-Haut qui l'a bâtie.
Le Seigneur inscrira sur le registre des peuples :
C'est là le lieu de leur naissance".
Car un homme, une nation, l'humanité tout entière ne peut être dit "né" que s'il est entré
dans le souffle d'accomplissement du septième jour au coeur de sa Adamah, que la cité de
Sion symbolise dans la géographie extérieure.
Il est aussi à noter que Zacharie désigne "les hommes de toutes les langues des nations"
comme étant ceux qui sont appelés à entrer dans le peuple de Dieu, celui du Verbe :
Les langues bavardent chez les individus - elles babillent en Babel -, le Verbe parle en la
personne de l'Homme, en Sion Jérusalem.
L'humanité tout entière est appelée à devenir Verbe.
Elle gémit aujourd'hui dans les douleurs d'une "naissance en Sion" qui sera passage du
sixième au septième mois de sa grandiose gestation.
Ce passage ne pourra s'accomplir que dans un face-à-face nuptial des Hébreux et des Goïm
d'aujourd'hui.
Aujourd'hui les Goïm sont l'humanité tout entière ; les Hébreux sont alors ceux qui, au
milieu d'elle, vivent leurs traditions respectives dans leur commun message parce qu'étant
allés vers les plus grandes profondeurs de leur personne, ils ont approché le secret
universel de ce message.
Les Evangiles nous conduisent avec d'autant plus de force vers le secret de ces choses, que
nous en entendons la voix en résonance avec celle du premier Testament.
Les Évangiles nous ont été transmis écrits en grec ; Jésus a sans doute parlé en araméen ;
la langue de la synagogue, celle des textes sacrés, a toujours été l'hébreu.
Il peut paraître audacieux, voire peu scientifique, que j'aie recours à l'hébreu pour
entendre les paroles évangéliques.
Je ne suis pas philologue et n'ai aucune prétention à en faire oeuvre.
Je m'attache seulement à l'unique esprit qui préside aux discours divins, celui de YHWH dans
le premier Testament, celui de Jésus dans le second, Jésus étant YHWH, "Je suis" :
"avant qu'Abraham fût, Je suis" , dit-il.
D'autre part cette démarche emboîte le pas à celle d'André Chouraqui dont la traduction des
Évangiles en hébreu à partir du texte grec s'inspire - il l'a dit dans de nombreuses
conférences - de l'indiscutable enracinement de Jésus dans le verbe biblique; auquel les
paroles du Verbe font constamment référence.
C'est donc à cet esprit du Verbe que je tente d'être fidèle en rapprochant dans ce même
face-à-face nuptial les deux Testaments.
L'esprit du Verbe est intimement lié à l'absence de voyelles de la langue hébraïque et à la
personnalité vibrante des consonnes sur lesquelles les sons jouent librement à différentes
octaves dont rend compte le Pardes.
La trame de mon travail sera celle qui programme la vie de l'Homme depuis l'Image de Dieu en
laquelle il est créé jusqu'à la Ressemblance en laquelle il est fait, façonné, sculpté tout
au long de son chemin.
Lorsque j'emploie le verbe "programmer", je fais référence à mon tout premier livre, Le
Symbolisme du corps humain, où je mets en lumière les trois "matrices" dont est structuré le
corps et qui sont chargées de porter l'Homme aux trois naissances essentielles qu'il a à
vivre dans la grande dynamique de sa vie depuis l'Image jusqu'à la Ressemblance :
matrice d'eau tout d'abord au niveau du ventre, matrice de feu au niveau de la poitrine, et
enfin matrice du crâne dont la matière symbolisée par la moelle épinière est celle des "eaux
d'en haut".
On ne nous a fait entendre l'existence de cette matrice de feu, la Géhenne, qu'en
l'identifiant à l'enfer dont le feu éternel brûle les méchants pour leur plus grande
punition alors que les bons qui en sont préservés sont récompensés dans le ciel.
Cette simplification n'est plus de mise.
La fresque grandiose que dessinent ces trois matrices est reconnue de toutes les traditions
mais la mystique juive la met somptueusement en lumière dans la "forme" du corps divin qu'a
vue Moïse ; cette fresque structure mon travail, car c'est avec une infinie discrétion que
Jésus obéit à ces trois étapes de croissance du Fils de l'Homme.
© Annick de souzenelle