"Réjouis-toi Marie, pleine de grâces" chante Gabriel, l'ange qui vient annoncer à Marie sa
maternité virginale : première salutation du ciel à la terre dans les Evangiles.
"Je sais que tu es belle"
s'écrie Abram en magnifiant Saraï son épouse : première parole adressée par un homme à une
femme dans la Bible.
Beauté, plénitude de grâces, maternité, "gloire de l'Homme", dira l'apôtre Paul, mais aussi
"gloire de Dieu", ajoutera-t-il dans un registre plus subtil.
Telle est la femme que je voudrais célébrer en ces pages, moi femme si lourde d'une telle
richesse et si douloureuse parfois de n'en pouvoir accoucher !
En disant cela j'aborde d'emblée trois niveaux du féminin :
la femme que je suis au plan biologique ;
le féminin "autre côté d'Adam", celui de l'intériorité de l'homme et de la femme dont ce
livre va témoigner ; mais aussi l'humanité entière (hommes et femmes) féminine par rapport à
Dieu.
L'humanité est la "gloire de Dieu", que le Verbe pose en tête de la Création dans le "Toi"
né de son "Je" divin dès la première lettre du Bereshit.
Le Bereshit est le Livre de la Genèse, appelé ainsi en hébreu du premier mot qui le compose
et dont la Tradition nous assure qu'il contient la totalité de la Torah.
A son tour le premier mot, dit-elle encore, confie son secret à la première lettre, le beit.
La lettre beit ouvre et recouvre notre Livre sacré.
Elle est le "Toi" jailli des lèvres divines comme une semence d'amour livrant cette "autre"
qui ne peut être autre sans rompre l'infini de Dieu !
Mais, ô merveille, elle est rupture et non-rupture ; ensemencée de Lui, elle porte son
infinitude ; créée, elle est matrice d'Incréé ; face à Lui, le Un, et lourde de Lui, elle
est le "deux" ; elle est aussi soumise à la dualité ; constituée de pôles opposés et
complémentaires dont l'un ne peut être sans l'autre, elle est récapitulée dans l'homme et la
femme.
Au-delà de toute dualité, Dieu Un ne se révèle mâle, archétype du masculin, que dans son
rapport à la Création alors tout entière féminine par rapport à Lui, tout entière aussi
contenue dans la lettre beit de valeur 2 et de vocation fondamentalement matricielle.
Première lettre du Bereshit, mystère du Créé, celui de l'humanité (hommes et femmes), elle
est née de "Rien", Me'Ayin en hébreu, nous dit la Tradition (II Macch.,7 28).
Ce Rien ('Ayin) est le premier Nom divin révélé, le point ultime d'une contraction, d'une
abnégation totale de Celui qui se fait "Rien" pour que "l'Autre" soit :
absence-présence à la plus extrême pointe du point, qui est et qui n'est point !
Kénose divine, disent les Grecs ; Tsim-Tsoum, contemplent les Hébreux ; retrait amoureux de
l'Un dont la semence fonde l'Autre ; l'Autre est alors "de sa race" ; "de la race d'Elohim",
murmure encore Me 'Ayin dans le jeu de son Verbe (Myn : "espèce", 'A : Elohim), elle est sa
semence, son Nom, qui se donne une "maison" (ce que signifie le mot Beit et ce que dessine
l'idéogramme premier de cette lettre ...) pour s'abriter et croître dans l'éclatement de
tous les possibles.
Maison de la semence d'Elohim, elle est d'Elohim la "fille" (Bat) lourde de Lui, le Saint
Nom qu'elle est appelée à porter en gestation ; Lui que symbolise au coeur d'elle la lettre
yod' ; Lui YHWH (yod-hé-waw-hé), qui est le présent du verbe "être", JE SUIS, le Verbe de
Dieu.
Elle est la "vierge enceinte" qui doit enfanter Dieu et qui, enfantant, est alors "dressée
en épouse", épousée de Dieu ; embrasée du baiser divin, elle est introduite dans la chambre
nuptiale, le secret, le Rien.
Née de Rien, comme une ombre devenue lumière, elle vient enrichir l'infiniment riche, en
retournant au Rien !
"Dans le principe est le Verbe" dit l'apôtre Jean.
"Dans le principe Dieu crée toi, toi lourde du Verbe, toi qui es cieux et toi qui es terre",
dit le premier verset de la Genèse ouvrant le cantique de la Création, donc celui de tout
être humain en son intériorité : "cieux" dans l'immensité ténébreuse des constellations
offertes au soleil du Verbe, comme les multiples richesses potentielles d'une matrice,
offertes à l'enfant que tu portes, pour le réaliser ; "terre" dans les étapes de croissance
et de réalisation de l'enfant de lumière.
"Toi" devient alors nouvelles réalités de toi, champs de conscience nouveaux, autres terres
émergées de l'océan des cieux, jusqu'à la "terre promise" où, approchant du noyau de l'être,
"Tu reçois alors un Nom nouveau que la bouche du Seigneur transperce ;
Tu es une couronne splendide dans la main du Seigneur un diadème royal dans la paume de ton
Dieu" (Isaï, 62, 2-3).
Ô toi à Moi encordée au coeur du Rien !
Je ne pouvais ouvrir ce livre sur la femme sans chanter cet hymne à l'humanité, au "Toi"
lancé sur l'orbe de sa féminité depuis son point d'ancrage dans le Rien jusqu'à son arrivée
à nous, avant qu'elle ne se retourne à sa source première.
Il nous faudra bien sûr parler de la femme par rapport à l'homme, à l'octave qui nous est la
plus commune, qui chante nos amours, nos joies et nos peines, ou surgissent aussi les
problèmes les plus pressants, où s'actualise aujourd'hui une identité nouvelle de l'homme et
de la femme, encore à définir.
Mais si nous ne sommes pas à l'écoute du son fondamental à partir duquel tant d'autres
octaves vibrent et résonnent, pour entendre la juste note de ce travail, nous risquons de
donner dans le discours psychologique ou d'ajouter aux nombreuses études sociologiques qui
ont été faites sur ce thème une thèse sans doute inutile, ou bien encore de nous enliser
tout simplement dans des considérations d'ordre affectif qui pullulent lorsqu'on soulève
certains sujets brûlants, comme celui de l'ordination des femmes chez les chrétiens.
Or le son fondamental est donné par les mythes de nos livres sacrés.
Ceux-là cristallisent en une forme divinement ciselée les résonances du diapason vibrant
d'en haut et en distribuent les harmoniques selon que les coeurs peuvent les recevoir.
Le coeur de l'humanité d'aujourd'hui est dans la souffrance, dans la confusion et dans le
vide que crée l'absurde.
Mais la surdité n'est pas étrangère à ces mythes eux-mêmes, ou plutôt à la traduction très
élémentaire qui en a été faite, à leur interprétation réductrice et infantilisante,
génératrice de valeurs irrecevables.
II s'agit donc de verticaliser ce cœur et de lui donner la joie de battre ce qui est inscrit
au plus profond de lui, dont, à l'extérieur, les mythes ont le secret.
S'il n'y a pas d'écho de l'un à l'autre de ces deux pôles, le coeur est malade.
Car les mythes sont, au plan collectif, ce qu'est le songe pour une personne.
Celui-ci renvoie au principe même de l'être ; il est la voix des profondeurs encore ignorées
de la personne, la voix de son Nom secret, celle de son Dieu qui déjà l'informe, sollicitant
d'elle son écoute ; à partir des symboles qui en constituent le message, le songe est
porteur de sens, lourd d'une connaissance qui est amour et qui donne à croître.
Cette connaissance vécue de quelques-uns aujourd'hui commence déjà à soulever le monde tant
est puissante sa force de mutation ; elle est la voix du Verbe qui fonde l'être, et le Verbe
est créateur en chaque instant de la vie de celui qui, entré en résonance avec lui, l'écoute
!
De même le mythe au niveau collectif.
Son ignorance génère tous les labyrinthes du monde, qu'aucun son fondamental n'atteint et
dont les limites deviennent vite carcérales ; les éthiques élaborées à l'intérieur d'elles
selon les notes émises par l'intelligence qui se veut par elle-même lucide ou par le
sentiment qui, sans fondement ontologigue, impose sa priorité, ne font qu'épaissir les murs
de cette prison ; celle-ci se fait alors tombeau.
Seule l'écoute des profondeurs libère des arsenaux du savoir et donne les outils opératifs.
C'est pourquoi nous ne pourrons jeter un juste regard sur l'identité , de la femme, sur son
mystère et les problèmes que pose tout particulièrement aujourd'hui son éveil, qu'après
avoir interrogé ces mythes.
Mais allons plus loin dans ce qui motive mon interrogation.
Si je reviens à la lettre beit et que je la contemple encore, elle s'affirme peu à peu comme
une amie, voire une part secrète de moi-même qui sollicite toute mon attention tant elle
éveille un émoi tendre et sacré au-dedans de moi ; peu de ses suivantes, les autres lettres
de l'alphabet, atteignent à cette intimité, bien que toutes composent avec elle une langue
qui cache son message en chacune et qui, pour le laisser percevoir, demande d'elles une
amoureuse approche.
Cette langue, si je l'entends dans certains de mes rêves et dans le souffle le plus subtil
des mythes, je la reconnais aussi dans les chants sacrés ; dans la réalité profonde de la
nature lorsque celle-ci, débarrassée des oripeaux de nos concepts, parle directement au
coeur ; dans la réalité de chaque chose que j'entends alors dialoguer avec le Verbe lorsque
je me retourne moi-même, "maison du Verbe", vers le Verbe qui me fonde, et que je me laisse
saisir par Lui et respirer de Lui.
Cette langue, je la sais capable de hisser l'âme jusqu'à sa plus fine pointe car elle parle
dans un espace divin de mon être, celui que la Bible appelle "paradis terrestre" ou "Jardin
d'Eden", "Jardin de jouissance".
Et, je ne peux plus en douter, ce jardin est à l'intérieur de moi.
Je ne le regarde plus comme un lieu extérieur historiquement très ancien, mais comme un
espace actuel, présent dans le très profond, le très antique de mon être, en amont de l'état
d'exil qui nous est commun à tous ; il se situe "à l'orient d'Eden" là où les Chérubins
gardent, avec l'Epée (le Verbe-Epée) YHWH, le chemin de l'Arbre de vie, celui du "Point" où
Dieu se retire, laissant sa semence, le chemin du "Rien" (Gén. 3, 24).
Nous nous sommes détournés de cet espace dans le collectif du grand Adam et, dans la mesure
où nous restons confondus avec celui-ci dans notre personne, nous restons aussi frappés
d'amnésie, de surdité et de cet aveuglement que dénonce le prophète Jérémie lorsqu'il dit :
"Ils ont des yeux et ne voient point, des oreilles et ils n'entendent point !" (Jér. 5, 21)
Mais si nous traversons ces marécages d'inconscience en nous retournant vers l'orient de
notre être sur la barque de l'amour, au moins sur celle du désir fou de cet amour, les
Chérubins éveillent nos sens et nous entendons le Verbe-Epée, nous reconnaissons sa voix et
balbutions à nouveau "la langue une", celle dont les traducteurs du mythe de la tour de
Babel nous disent que les hommes la parlaient autrefois. (Gén. 11)
Autrefois ?
Toujours prisonniers de nos catégories mentales liées au temps du monde extérieur, nous
avons compris ce mythe comme n'étant qu'un récit historique ; nous avons fermé l'oreille à
ce que, d'entrée de jeu, il disait d'essentiel :
"Or en voyageant, venant de l'orient, les hommes trouvent une percée en terre de Shinéar et
ils s'établissent là."
Il s'agit sans doute de l'Homme saisi à la limite de l'historique et du métahistorique, mais
certainement aussi de l'Homme qui, de tout temps historique, se détourne de son orient, de
cet espace intérieur à lui, où sont parlés la langue une et les mots uns : langue divine et
mots divins, car le nombre "un" est en hébreu un Nom divin et seul Dieu est Un.
Cet Homme qui se détourne du Verbe fondateur en lui s'établit alors dans une terre dont on
peut traduire le nom, Shinéar, par : "là où l'on crie, où l'on beugle", ou bien encore :
"principe du balancement".
Cela fait penser à ce que vit un enfant d'une façon très concrète, lorsqu'au moment de sa
naissance il quitte un paradis archétypiel pour entrer dans le monde où il crie, où tout
n'est que cri, eu égard à la "langue divine" qu'il entendait des archétypes dans le ventre
maternel, et où l'axe vertical de référence semble perdu.
Cette situation bien existentielle qui appartient au temps historique signifie en raccourci
ce que dit le mythe du passage de la langue une divine de l'intériorité au cri de nos
langues ; si belles soient-elles, ces langues ne sont que rugissements par rapport à la
langue divine.
L'Homme qui tourne le dos à son orient bascule à l'extérieur de lui-même, totalement
identifié à la Babylone cacophonique, sourd à la voix du Verbe, à celle de la langue une de
son orient.
Coupé de la Parole, l'Homme est désincéré de lui-même, de son nom secret, "JE SUIS en
devenir" et vient sans repère en ce monde d'exil et n'est plus que souffrance.
Le récit biblique confirme ce niveau d'écoute du mythe en disant que les habitants de
Shinéar "se mettent à cuire des briques [...] et la brique leur tient lieu de pierre".
L'homme extérieur, encore aujourd'hui, sur le marché économique vaut tant de briques.
L'homme intérieur est pierre.
En hébreu, est "pierre" ('Eben) celui qui est "fils" (Ben) du "Père" ('Ab) ; est "brique"
(Labenah) celui qui est "fils" (Ben) "d'elle" (Lah), fils de la femme, ou encore fils
biologique d'ordre animal, resté dans ce registre animal et donc privé de la conscience du
Père-Un, privé de la racine commune à lui et aux autres hommes.
En résonance avec l'Evangile, le Fils du Père est "Fils de l'Homme", fils intérieur que tout
être humain doit faire croître en lui, celui dont Jean Baptiste parle en disant de Jésus :
"Il faut qu'Il croisse et que moi je diminue"; (Jean 3, 30)
de Jean Baptiste Jésus dit :
"Il est le plus grand parmi les fils de la femme." (Mat. 11, 11)
"Le plus grand", car il va quitter le registre animal et s'effacer devant le Fils de
l'Homme.
En se nommant Lui-même "Fils de l'Homme" Jésus affirme être le Fils intérieur du grand Adam
(l'humanité totale).
Si, par Son Incarnation en Marie, Il se manifeste dans notre monde d'exil, c'est parce qu'Il
est aussi Fils de Dieu et qu'en Lui, intérieur et extérieur sont un.
Il vient en notre monde d'exil pour le sauver, libérer en chacun de nous le Fils de l'Homme
et nous porter à notre accomplissement total.
C'est pourquoi Jésus est aussi appelé "pierre d'angle", pierre fondatrice du temple cosmique
qu'est le Créé, chacun de nous, l'humanité totale.
Dans cette lumière est alors nommé "pierre" celui ou celle qui participe de cette
essentielle réalité.
"La brique à la place de pierre" confirme donc la culbute , radicale des êtres qui, dans la
plaine de Shinéar, ne partent plus à la conquête de leur Nom dans leurs cieux intérieurs,
mais cherchent à se faire une renommée sous les cieux extérieurs.
"Construisons une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom !"
Ils exécutent leur décision et, n'en soyons pas étonnés, perdant contact avec la langue une
et le Père Un, ils se dispersent dans les multiples langues de la terre et deviennent les
uns pour les autres des étrangers qui se vivent dans des rapports de force :
compétitions, rivalités, conflits, guerres, meurtres sanglants !
Le mythe, de la tour de Babel qui met l'accent sur l'énergie- "puissance" donnée par le
Saint Nom fondateur, mais dévoyée, reconduit le mythe de la Chute plus axé, lui, sur
l'énergie- "jouissance".
L'enfant qui arrive au monde, dont j'ai parlé plus haut, semble avoir mémorisé comme en un
héritage génétique essentiel cette langue une dans un espace un de lui-même, son orient ;
mais il a aussi mémorisé son arrivée brutale - sa "percée" - dans la plaine de Shinéar
qu'aurait été sa naissance et à laquelle sa vie intra-utérine, dans une subtile ontogenèse,
l'aurait préparé, ce qui veut dire que la véritable percée serait peut-être plus proche de
sa conception que de sa naissance.
Les toutes dernières études d'ordre anthropologique et biologique, dans la perspective de la
phylogenèse, nous affirment ceci :
l'hominien de Néandertal qui n'est pas encore parvenu à élaborer la fonction parolière est
en contact si étroit avec la mémoire de la langue une qu'il en manifeste la vie par des
rites et des cultes dont il a laissé des traces maintenant indiscutables.
Par rapport à lui, l'homo sapiens qui commence à articuler le langage mais qui déjà est
installé dans la plaine de Shinéar élabore des mythes pour raconter cette mémoire.
Et cela semble inscrit à un niveau très archaïque de tout être arrivant au monde, dont le
cerveau reptilien est le gardien et dont la couche limbique qui l'entoure joue en
intermédiaire sensible entre ce premier cerveau et celui plus récent de l'homme pensant.
Mais je me permets d'ajouter que l'Homme pensant, quant à lui, perd peu à peu contact avec
ces données archaïques au profit de celui que le monde extérieur lui impose, où tout est cri
et errance.
Comme pour préserver ce sens à partir des données fondatrices, l'Homme fera dans le
collectif, tout au long de son histoire, des "contre-percées", numineuses celles-là, vers
son orient, dans des retournements ontologiques dont Lao-tseu, Pythagore, Bouddha, Mahomet
et tant d'autres sont les acteurs agis de Dieu ; ils instaurent de hautes sagesses ou
fondent des religions hélas vite réduites au magique ou au dévotionnel, lorsque les êtres
devenus de plus en plus étrangers à eux-mêmes ne restent liés qu'à l'événementiel du
numineux fondateur.
Le collectif qui vit ainsi l'historique coupé de sa métahistoire tend à institutionnaliser
l'événement et à enfermer son contenu dans les structures aliénées du monde.
Lorsque Dieu lui-même, au coeur de l'Histoire, mais bouleversant celle-ci, s'incarne et
accomplit l'Homme (donc les hommes et les femmes de tous les temps) dans la dynamique
retenue à l'orient de l'être et soudain libérée, Il élargit cette contre-percée ontologique
à tous les êtres et révèle à chacun le mystère de son Yod (semence de JE SUIS), celui de sa
Personne unique en même temps qu'universelle et capable de déification.
Mais le Christ qui est JE SUIS sera réduit au rang de fondateur de religion, dont le plus
souvent on mémorise l'événement historique vidé de sa brûlante actualité, de sa dimension
d'éternité et de sa puissance déifiante.
Cette conscience de la notion de Personne qu'Il est venu jeter et qui s'origine dans le
noyau de l'être est cependant en train de croître : beaucoup s'y éveillent et découvrent
aujourd'hui l'importance des rituels religieux lorsque ceux-ci retrouvent leur substance
reliante ; ils sentent combien l'évocation des mythes et des songes réactive ces couches les
plus archaïques de leur être et les fait accéder au divin dans une respiration sans laquelle
ils ne sauraient vivre.
Mais pour le plus grand nombre d'hommes et de femmes, la rupture quasi radicale avec rites,
mythes et songes est gravement pathogène.
Il me semble que le plus tragique chez l'Homme moderne est d'avoir consommé cette rupture en
injectant des informations artificielles dans la mémoire génétique des nouvelles générations
:
ceci par la voie d'une déculturation systématique et par celle d'une suppression presque
totale de la relation de l'Homme au cosmos en tant que personne vivante mais plus encore par
la voie d'une alimentation dénaturée, par un abus de toutes les chimiothérapies (des
antibiotiques en particulier) et par l'accumulation des vaccinations (ces dernières
empêchant l'enfant de faire les maladies nécessaires à la constitution de son immunité, donc
de son identité).
A tous les niveaux de réalité s'applique en effet la loi selon laquelle la vie est
intégration d'un potentiel d'énergies.
L'adulte conscient qui se retourne vers son orient construit son nom et acquiert sa force en
réalisant ce potentiel dans ses rencontres avec "l'Adversaire" ; l'enfant, lui, construit
son premier "moi" encore inconscient, en même temps que son immunité, en traversant les
maladies qui, dans cette optique, le constituent physiquement et psychiquement, et en
assumant les épreuves initiatiques qui devraient faire partie de son éducation.
Les vaccins se situent alors dans le prolongement meurtrier de l'abolition des rites
initiatiques.
L'ensemble de ces effondrements physiques et psychiques me semble responsable de maladies
comme le sida et comme celles qui mènent au suicide ou, par les drogues de toutes sortes, à
une régression quasi foetale vers l'océan vital de la langue une qui dans ces conditions
artificielles ne peut plus se dire.
Si l'Homme reste encore en vie, ou plutôt en survie, sur ce théâtre de marionnettes, c'est
grâce à l'accès qu'il garde bien involontairement avec les couches limbiques de ses
profondeurs par le sommeil et les rêves.
Même s'il n'a pas le souvenir conceptualisé de ses rêves, il ne garde le souffle que grâce à
la respiration qu'ils instaurent au moment du sommeil paradoxal entre la part divine de son
être et lui.
Ceci veut dire que cette imperceptible plongée dans les zones inconscientes les plus
archaïques de lui-même n'assure que la survie de l'Homme ; une survie très fragile dans la
plaine de Shinéar qu'est notre monde, mais non la vie.
Ce n'est que dans le rêve mémorisé, exploré, décrypté qui lui délivre son message "venant de
l'orient" que l'Homme, obéissant à ce message, participe de la langue une et peut commencer
de vivre.
L'Homme, image de Dieu, ne saurait subsister sans sa participation au modèle !
Dans cette participation, la vie devient éveil et montée d'une connaissance qui rend l'Homme
capable d'un retournement énnivrant, car juste, vers l'orient de son être.
De la même façon, l'éveil peut être donné par les mythes entendus à un niveau de réalité
plus profond, par les rites religieux ou initiatiques lorsqu'ils ne sont pas dénaturés, par
les chants sacrés de nos Traditions, par ceux de la nature lorsque nous nous retournons
amoureusement vers elle.
La nature nous invite à communier avec elle par la voie sensorielle.
C'est une expérience étonnante que celle de la reconstruction de l'équilibre d'un être,
invité à des moments privilégiés de sa journée à vivre l'instant et à le vivre plaqué au
sensoriel - à la respiration, à la marche, à l'écoute d'une musique, à la saveur d'un fruit,
etc...
Le Dr Vittoz qui a bien étudié ce phénomène n'a peut-être pas su dire en son temps combien
la sensation vécue dans l'instant devait nous relier par une voie peut-être encore ignorée
mais cependant réelle à YHWH, JE SUIS de l'Etre, le Christ en nous !
Entre l'objet expérimenté et l'Homme viennent se glisser toutes les émotions dont s'empare
le mental ; et c'est lui, ce mental qui vagabonde et nous égare aussitôt loin de cette part
sacrée de nous-mêmes.
Si nous revenons à la sensation pure qui nous met en contact avec l'écorce des choses, nous
faisons alors l'expérience d'être parfois portés à sentir vibrer ou scintiller leur pulpe.
Une conscience éveillée touche au plus profond de leur chair.
Mais cette chair des choses soudain partagée est aussi capable d'éveiller notre propre chair
dont nous verrons qu'elle est notre conscience d'être.
Bouleversant dialogue que celui de l'intérieur et de l'extérieur se recevant l'un l'autre et
nous apprenant à aimer !
Dans cette perspective on ne peut alors nier que la nature, les langues, les contes et les
légendes de chaque peuple, l'héritage traditionnel de chacun, tous tissés à partir d'une
étincelle de la langue une, sont un canal privilégié pour retourner à elle, pour atteindre
au Verbe fondateur, pour le parler, le respirer et le vivre et, qui sait ?
L'enrichir.
Il n'y a de vraie communication que dans ce souffle traceur de sillons d'or au coeur de
notre ignorance.
Un de ces sillons, plus privilégié que les autres dans mon expérience personnelle, est la
langue hébraïque.
Celle-ci me semble être, beaucoup plus que le grec par exemple, mais avec le sanscrit
notamment, plus proche d'une "langue mère" qu'ont pressentie les "gnostiques de Princeton".
Cette "langue mère", selon eux, ferait vibrer le "surunivers" qu'ils supposent et que nos
physiciens modernes sont en train de découvrir et nomment "univers replié ou impliqué".
Ne serions-nous pas avec ces hommes de science dans une réalité cosmique proche de
"l'Ailleurs" d'Einstein, du "Rien" de la Bible, de l'univers des "tachyons" récemment nommé,
"où ne peut vivre qu'un JE SUIS éternel", réalité essentiellement présente à l'intérieur de
nous, à l'orient de tout être, en amont de la plaine de Shinéar, où se murmure de toute
éternité la langue une de YHWH, JE SUIS ?
Ancrée dans cet univers, la plaine de Shinéar le déplie, et toute chose la composant
l'explique ; mais elle ne l'explique que dans sa relation à lui, à la langue une, dans la
respiration qu'assurent mythes, rites et songes et que véhiculent les langues.
Comment, dans cette perspective, ne pas être conscient que priver un peuple de sa langue est
faire oeuvre meurtrière ?
Que lui imposer un rite religieux étranger à ce qu'il porte au plus profond de lui dans une
mémoire ancestrale (comme l'a fait Rome en Occident) est oeuvre non moins meurtrière, et que
le bétonner dans des villes qui le séparent de la nature et de son langage c'est encore le
tuer ?
Nos langues sont toutes sacrées en ce qu'elles sont icônes de la langue une, l'hébreu en
étant l'icône privilégiée pour nous, Occidentaux, altérés du sens de nos textes sacrés.
Comment dans ce cas ne pas aller vers elle, cette langue transmise dans un baiser du Verbe
divin à Moïse (Nbres 12, 8), dont le trésor est gardé intact dans la prière de nos frères
juifs et qui scelle dans sa profondeur le secret de la langue une ?
Comment ne pas tendre l'oreille au son fondamental dont elle vibre au-delà des secousses
historiques et auquel doit se mesurer, pour être juste, toute note émise autour de nos
questionnements ?
J'interroge alors au coeur de cette langue ses récits mythiques ou historiques, dont ces
derniers ont aussi valeur de mythes : ils me parlent de la femme de sa beauté, de sa grâce,
de sa maternité et de la gloire qu'elle est.
Je tente en ces pages de l'exprimer.
© Annick de Souzenelle